OAM - Objets Autonomes Manipulables

concert chorégraphié d'Olivier Sens et Dominique Jégou

  • Olivier Sens / musicien compositeur
  • Dominique Jégou / chorégraphe
  • Annabelle Pulcini / musicienne-danseuse
  • François Merville / musicien percussionniste
  • Briac Maillard / light designer

Note d’intention du chorégraphe Dominique Jégou

Une des questions élémentaires que la musique et les musiciens posent à la danse et aux danseurs concerne en premier lieu l’usage (musical) des objets, des instruments, et par extension l’usage (que nous faisons ou non) des machines.

A quoi joue­-t-­on? Et comment? Est ce que la danse et la musique pourraient jouer un même jeu selon des modalités différentes?

Bien sûr, pour un musicien, le « corps » est en jeu : il s’organise, ­ long travail de mises au point, pour développer certaines qualités d’appui, de phrasés qui génèrent des sons, de la musique. On imagine très facilement que pour un musicien, ces gestes, ces attentions, portées et soutenues intensément, influent aussi dans le champ extra­musical sur une manière d’être, de toucher, et de composer avec les autres.

Cela concerne aussi la danse et les danseurs. Le geste est comme en musique l’objet/sujet d’une longue pratique. Ce sont des incorporations progressives qui utilisent différentes techniques, différentes manières de faire, ce qu’on pourrait nommer des styles de jeu où le sentir, ­ le tactile, mais aussi le phrasé ou encore la perception active de l’écriture spatio-­temporelle­, se développent en s’appuyant sur quelques figures, composées et/ou improvisées.

En retour une des questions posées par les danseurs/chorégraphes aux musiciens/compositeurs/performeurs concerne certains usages et états particuliers du corps.

Une des expériences les plus directes que la danse partage avec la musique est une manière particulière de toucher. Danser le plus souvent « à mains nues », c’est à dire sans utiliser d'objet « intermédiaire », a une incidence directe sur la manière dont le "corps" est vécu, traversé. Ce toucher qui se fonde sur une articulation pas toujours consciente avec le champ érotique, est régulé de manière très personnelle par chaque chorégraphe, et bien sûr par chaque danseur. Le geste pourrait donc devenir caresse, il ne serait plus alors seulement fonctionnel, pantomimique ou allusif.

Pour mémoire, les mots d’Emmanuel Lévinas à propos de la caresse :

« La caresse est un mode d’être du sujet, où le sujet dans le contact d’un autre va au­-delà de ce contact... Mais ce qui est caressé n’est pas touché à proprement parler. Ce n’est pas le velouté ou la tiédeur de cette main donnée dans le contact que cherche la caresse. Cette recherche de la caresse en constitue l’essence par le fait que la caresse ne sait pas ce qu’elle cherche. Ce « ne pas savoir », ce désordonné fondamental en est l’essentiel. Elle est comme un jeu avec quelque chose qui se dérobe, et un jeu absolument sans projet ni plan, non pas avec ce qui peut devenir nôtre et nous, mais avec quelque chose d’autre, toujours autre, toujours inaccessible, toujours à venir. La caresse est l’attente de cet avenir pur, sans contenu...»

En danse, certaines expériences comme celles que met en mouvement le Contact­-Improvisation (pratique développée par Steve Paxton depuis les années 60 où les danseurs s'appuiennt continuellement l’un sur l’autre, au moins au début), sollicitent différentes manières d'accepter et de garder le contact avec l'autre, même si celui-ci se dérobe. L’aspect érotique que le contact peut revêtir y est petit à petit mis à distance. Il s’agit surtout de s'impliquer à chaque instant, à deux, sans tomber non plus dans une relation « abstraite » où le contact et le toucher avec l'autre ne seraient entrevus que comme une métaphore, ou une visualité.

Si l’érotique est un axe possible pour modifier le geste musicalo-chorégraphique, l'aspect machinique, avec ses aspects programmatiques, pourrait en être un autre.

Comment faire émerger, avec amusement, cette impression/idée d'un corps­-machine? Comment faire le lien avec la manière de vivre et d'inventer aujourd'hui de la musique grâce aux machines musicales?

Notre projet

L’idée est, en partant d’une écriture musicale jouée sur scène d’expérimenter différents glissements, différentes inflexions par rapport à la manière traditionnelle de toucher/jouer d’un instrument. Le recours à l’électronique, grâce aux capteurs et aux ordinateurs, va permettre de rejouer ce qui fait le jeu habituel de l’instrumentiste.

A titre d'exemple, des gestes de contact direct avec les OAM pourront initier une mélodie qui pourra être continuée grâce à des gestes produits "dans l'air", c'est à dire sans toucher les OAM. Les qualités de ces gestes étant immédiatement reconnues par les capteurs (bague portée au doigt ou autres types de capteurs), l'ordinateur déclenchera la suite du programme mélodique et cela nous donnera une impression de continuité sonore entre ces deux moments, entre ces deux gestes.

Par ailleurs, la connexion entre la perception visuelle du geste et la perception auditive du son est, on le sait, constamment retravaillée par le cerveau pour qu’il y ait coincidence. La vitesse de propagation du son étant plus lente que celle de la lumière, le son produit par le geste est perçu plus tard que la perception visuelle que nous avons de ce geste. Cela nous intéresse de remettre cette fonction en perspectives, d'expérimenter le déphasage de ces deux informations et de faire que cette expérience produise une musique et une danse bien particulières.

Création mêlant danse contemporaine, musique électronique et objets connectés :

A travers les modalités du toucher, trois musiciens-danseurs explorent différentes combinaisons de rituels, chorégraphiques et sonores.

Le son, les gestes, et la lumière seront ainsi travaillés par des jeux de connexion, des programmes, qui permettront d’activer une partition d’actions et d'effets qui joueront avec le plausible, avec le vraisemblable. La sensation d’irréalité produite par ces décalages donnera, on l'espère, cette impression de merveilleux et d'étrange.

D'un point de vue opératoire, le système de notation du mouvement mis au point par Rudolph von Laban va nous permettre de travailler sur une base commune, avec des concepts à la fois analytiques, bien différenciés et globaux vis à vis des actions et des gestes. Cet outillage n'est pas une fin en soi, il servira à creuser, à mettre en perspective la relation des musiciens, avec les objets­-instruments et avec le musical - qui n'est pas toujours sonore pour aller vers le chorégraphique.

En tant qu’artistes nous allons jouer avec ces dispositifs invisibles qui nous gouvernent en partie et tenter de remettre en perception ce qui d’habitude est intriqué­-incorporé. La mise en scène du fonctionnement de ces mécanismes, de ces machines et de ces machineries, inclura donc certains usages dérapants, certains échappements, qui ne manquent jamais d’arriver.
















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